vendredi 29 janvier 2010

Oeil pour oeil

La vengeance est un plat qui se mange froid...
Comme la soupe gaspacho.
Je suis de ceux et celles qui préfèrent tendre la joue gauche, de ceux et celles qui croient en la nécessité du pardon. Je suis de ceux et celles qui osent croire que la vie se chargera un jour de faire payer d'une façon ou d'une autre ceux qui me font souffrir, que c'est la providence qui rendra borgnes et édentés ceux qui m'affligent.
Mais...
Il reste que secrètement, j'admire les Comtes de Montecristo de ce monde...
J'ai donc écrit une petit nouvelle pour expier l'envie que j'ai d'aller brûler son appartement ou de lui rendre la vie impossible...Une nouvelle inspirée d'un fait réel trouvé au hasard sur le net dans un journal américain.

Régalez-vous, bêtes sauvages que vous êtes!

M.




La vérité nue

L’aube se pointait déjà derrière un paysage brumeux qui présageait des heures pluvieuses à venir. Il se souvint du vieil adage : « Mariage pluvieux, mariage heureux. » et ne pu réprimer un sourire de satisfaction. Il savait que sont plan était imparable, irréparable, pensa-t-il. Il allait enfin pouvoir vivre à nouveau, aller au bout de ces sentiments qui le torturaient depuis déjà trop longtemps.

Les 7h du matin de la journée la plus longue de sa vie venaient à peine de sonner le "glas", ajouta-t-il dans sa tête tout en riant de sa manie à vouloir toujours faire des jeux de mots. Oui, aujourd’hui, il était d’une humeur pétulante et personne au monde n’allait gâcher son fantasque dessein. Il restait encore une heure avant l’arrivée de son témoin qui allait l’accompagner dans les sempiternelles obligations pré-maritales : essayage de leur complet respectif, cirage des chaussures, ajustement des boutonnières et des nœuds papillons, location de la limousine, achat des fleurs de corsage préalablement commandées par sa douce étaient au menu de cette bienheureuse journée.

La vapeur de la douche avait laissé une nuée sur le miroir de la salle de bain, et étrangement, cela lui rappela la dernière fois où il avait fait l’amour avec sa future femme. Il se mit à penser à elle, à eux, à ce qu’ils étaient avant. Ils s’étaient rencontrés il y a 3 ans. C’était au café ou il avait l’habitude d’aller avant le boulot. Il l’avait remarquée plusieurs fois, mais n’avait jamais osé lui parler. Elle était toujours assise au même endroit, sa petite mallette fleurie à ses pieds, absorbée dans la lecture de ce qui semblait être des colonnes de chiffres appartenant à la bourse. Un matin, il s’était décidé à se lever plus tôt afin d’arriver avant elle au café et de l’attendre à sa table. À la dernière minute, se sentant ridicule, il décida d’avorter son plan, pensant qu’elle le prendrait sûrement pour un désaxé. Au moment de se lever, il vit qu’elle était sur le seuil du café et il quitta précipitamment sans même croiser son regard. Arrivé au bureau, il découvrit avec horreur que dans son empressement, il avait non seulement perdu une opportunité en or, mais qu’il avait aussi malencontreusement laissé son porte-documents à la table du café. Quelques minutes plus tard, il reçut alors l’appel qui allait changer sa vie : c’était elle au bout du fil qui lui rapportait avoir trouvé ses effets.

Il était devenu fou d’elle. Jamais auparavant il avait senti ce sentiment si profond et vrai que celui qui naissait inéluctablement en sa présence. Il s’imaginait passer sa vie avec elle, lui faire une douzaine d’enfants. Il avait changé de carrière pour être plus présent et s’était installé dans une autre ville pour pouvoir partager sa vie. Il avait tout quitté pour pouvoir bâtir ce nid si réconfortant, ce temple d’amour rempli de promesses. Il lui avait fait la grande demande il y a un an. Il passa sa main dans la buée du miroir et fit une moue équivoque. Autour de son reflet il écrivit « L’amour est terri-fique! » trouvant son jeu de mot franglais tout à fait délicieux.

Son témoin arriva à 8h pile. Ce dernier le serra dans ses bras et lui demanda s’il était nerveux.
-Qui ne le serait pas? lui répondit-il en lui appliquant une tape sonore dans le dos.
Il lui mentait. Mais ils se mentaient déjà depuis longtemps.

Il se trouvait maintenant devant l’église. Il était en avance. À peine quelques invités étaient arrivés. Il alla jusqu’à la marche de l’autel, s’agenouilla, fit un signe de croix et fit mine de prier en silence. Les lieux ne lui rappelaient en rien le sacré, bien au contraire : il se remémorait encore une fois cette nuit torride passée avec sa future femme deux jours auparavant. Elle s’était amusée à se peindre du chocolat sur les seins et sur le sexe et le mélange, bien qu’agréable au goût, avait rendu le coït impossible tellement la mixture était devenue collante. Ils avaient donc poursuivi leurs prouesses sous la douche. Cette nuit-là, il s’était promis de l’étreindre comme jamais, de la rendre folle en l’amenant au bord de l’orgasme pour qu’elle lui en demande plus, pour qu’elle lui dise pour une dernière fois ce mensonge si atroce qui l’avait rendu fou : « Je t’appartiens! Fais ce que tu veux de moi! » Elle avait joui en pleurant, ce qui lui avait presque donné envie de la gifler…Mais il s’était souvenu que leur mariage était proche et que ce n’était pas le moment de faire de coup d’éclats. Ils s’endormirent donc épuisés dans la douceur de leurs draps.

Il la vit finalement monter les marches du parvis de l’église au bras de son père. Elle était magnifiquement drapée dans un nuage de taffetas d’une blancheur crue qui moulait à la perfection la rondeur de ses seins et dévoilait la finesse de sa taille. Des diamants brillaient autour de son cou ainsi qu’à son œil. Elle le regardait fixement, avec ce sourire tremblant et ému, ce sourire qu’il avait tant aimé. Il se surprit lui-même à verser une larme. « Tu m’appartiens et je ferai ce que je veux de toi. » se dit-il entre les dents de son sourire fugace. Juste avant que la musique nuptiale ne se tut, son beau-père lui fit signe qu’il voulait lui parler à l’oreille :
-Ha! Mon brave! Pour un père, c’est toujours inquiétant de voir sa fille se marier, mais c’est encore pire de la voir malheureuse! Tu vas me trouver bête, je sais…Mais j’avais peur que tu ne viennes pas et que tu annules le mariage…Tu sais, après cette dépression que tu viens de traverser, ce mariage est inouï, mon cher, inouï! Je suis fier de toi! Et ces 30 000$ dépensés pour le bonheur de ma fille en valaient vraiment la peine …
Mais déjà, le prête prononçait les premières paroles de la cérémonie.

Tout s’était déroulé à merveille : ils avaient échangé leurs vœux devant une foule larmoyante, les nièces avaient porté les fleurs et les anneaux avec grâce, l’homélie avait été retentissante, les colombes s’étaient envolées dans le ciel, le riz avait été lancé…Tout ce beau monde s’était maintenant retrouvé autour des tables endimanchées dans l’immense salle de réception remplie à pleine capacité. Les tables avaient été harmonieusement décorées par des bouquets fabriqués avec des fleurs exotiques et odorantes et une enveloppe scellée avait été placée sous chaque assiette. Sur chacune, il était écrit : Ne pas ouvrir avant la fin de la soirée! Les invités étaient bien intrigués par ces enveloppes, mais personne n’osa les ouvrir.

Le repas se déroulait magnifiquement bien entre les fracas du cristal des coupes, les baisers langoureux des nouveaux mariés et les toasts portés au bonheur des époux.

-"L’heure du dessert est arrivée." pensa l’homme et il demanda le micro.

Il entendit la foule se taire en une vague de chuintements sourds et c’est à ce moment qu’il sut qu’il allait enfin sortir de son calvaire. Ce qu’il avait à dire, il l’avait appris par cœur. Depuis presqu’un an, il avait imprimé ces paroles dans son cerveau. Ils les avaient répétées chaque jour comme une prière, comme le plus exquis des poèmes. Combien de fois avait-il imaginé ce dénouement? Dieu seul le savait.

-"J’aimerais porter un toast à la plus belle des femmes, à celle qui m’a rendu le plus heureux du monde." Il prit un moment pour la regarder intensément dans les yeux. Elle souriait de toutes ses dents et il eut un instant de faiblesse. Il reprit son souffle et se souvint d’un vieux truc pour se donner le courage de parler aisément en public : imaginer son interlocuteur dans son entière nudité. Il eut un fou rire gras incontrôlable en la visualisant avec ce chocolat de pacotille dont le souvenir lui revint amèrement en bouche. Cette image lui ramena sa verve aussitôt.

-"Merci mon amour d’avoir fait l’homme que je suis aujourd’hui. Tu ne le sais pas encore, mais ce mariage m’a rendu plus fort, m’a rendu la force que j’avais perdue dans ces nombreux moments de déprime et dans ce spleen qui m’accablait. C’est toi qui m’a fait comprendre qu’il valait mieux vivre la vérité en face, toute nue (il rit intérieurement de la finesse soudaine de son lapsus) et d’affronter mes démons, de me retrousser les manches et d’avancer." Son cœur battait à tout rompre. Il continua :

"Ma bien-aimée…Je fus si lâche et de là venait mon malheur. Lâche de croire en ce vaudeville que tu as si bien orchestré et qui me faisait malgré moi jouer le rôle de ce vulgaire figurant qui voyait au loin cet autre incarner le protagoniste de tes nuits… L’amour m’a rendu aveugle, sourd et muet et aujourd’hui, c’est la vengeance qui me redonne mes sens…Enfin." Il soupira.

Il se retourna vers cette grande bouche bée qu’était devenue la foule.

-"Je vous invite tous à passer une excellente soirée et à vous offrir l’honneur d’ouvrir mon cadeau de noces." Il pointa les enveloppes sur les tables.

Le cillement perçant du micro fit sortir la mariée de sa paralysante torpeur. Elle savait. En s’éloignant, il l’entendit geindre telle une truie qu’on égorge. Jamais il ne s’était senti aussi bien de sa vie.

Déjà, la foule s’horrifiait après avoir ouvert l’enveloppe enrubannée qui contenait une photo très explicite montrant la mariée se faisant chevaucher par le témoin de la cérémonie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire